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6 décembre 2010 1 06 /12 /décembre /2010 04:19

Salut,

 

A Porto Alegre, depuis 1989, la population a la possibilité de s'impliquer directement dans les prises de décision concernant les priorités budgétaires de la ville : c'est le budget participatif.

 

Comment est né le budget participatif ? Les gaúchos ont-il un passé d'engagement politique ? Quelle a été l'influence de la dictature sur les esprits ? Le budget participatif est-il réellement assujetti au Parti des Travailleurs ? (les débuts datent d'avant Lula) Pourquoi n'a-t-il pas aussi bien marché lors de ses tentatives d'implentation dans d'autres villes brésiliennes ? Comment fonctionne-t-il ? Quel poids a-t-il face à un pouvoir habituellement opaque et corrompu ? Toutes les couches de la population y prennent-elles part ? Et les jeunes ? Quelles ont été ses retombées concrètes ? Le lac guaiba sera-t-il vraiment baignable en 2020 ? A-t-il uniquement servi les intérêts partisans des quartiers ou ces derniers ont-ils appris à voir plus large tout au long de leur engagement ? Quelle est son image relayée par les médias dominants ? Quelles sont ses limites ? Quels sont ses nouveaux défits ? Quelle a été la situation quand le PT a perdu la mairie au profit d'un candidat de droite ? Existe-t-il de par la seule volonté du maire ? Qu'en est-il maintenant que le PT a regagné la mairie en octobre ? Que peut-il nous inspirer, à nous ? Tous leurs problèmes nous sont-ils étrangers ?

 

En guise d'introduction à ce vaste sujet, entendons quelques témoignages.

 

Antônio le papeleiro

 

Je vous ai déjà évoqué les "vila" de Porto Alegre, n'est-ce pas ? (post sur Rio par exple)

 

contraste-porto-alegre.png

auteur : Bruno Alencastro, sur flickr


Vila do chocolatão. 98% des habitants y sont "papeleiros". De jour comme de nuit, ils arpentent les rues de la ville, à la recherche de déchets recyclables. Jeunes ou vieux, en charette à bras ou de temps en temps en calèche, le matin quand je vais à l'arrêt de bus ou la nuit quand je reviens d'une soirée, je les croise en train de travailler, en train d'entasser papier, carton ou canettes de fer qu'ils ramènent chez eux puis revendent à des entreprises de recyclage, en échange d'une paye de misère. Antônio le papeleiro est arrivé dans cette vila en 1987. "Parcequ'après 45 ans, un homme n'est plus bon qu'à jeter", explique-t-il. "Moi, j'ai fait un tas d'enfants, j'en ai douze. J'ai toujours travaillé dans l'économie informelle. J'ai eu des stands de fleurs, de fruits … Mais je gagnais de moins en moins d'argent, je commençais à étouffer. Alors je suis venu ici, pour travailler avec les papiers. C'est dur. Quand je reviens du centre-ville, je marche environ 3 km et le chariot est lourd à tirer. Mais plus il est lourd, plus je suis heureux, parceque cela signifie plus d'argent. En moyenne, je gagne entre 50 et 60R$ par semaine (déc 2010 : 1 € ±= 2.30R$, 1R$ ±= 0.43€). C'est moins qu'un salaire minimum mais ça permet de manger. On n'a pas de bonne nourriture c'est sûr, mais au moins on a le ventre plein." Cela peut-il suffire ? Certainement non. Alors, c'est pour améliorer ses conditions de vie et celles des papeleiros qu'Antônio, un jour, est entré dans la lutte.

 

vila-porto-alegre.png

 

Sa première tâche aura été de constituer une association d'habitants pour tenter de peser plus au sein du budget participatif. En 1999, il a été élu délégué représentant de sa communauté. Depuis, "tout a changé", assure-t-il. "Avant, j'habitais dans une seule pièce. Il y avait un espace pour mettre la cuisinère, un placard, la télévision, et rien d'autre. Je dormais avec ma femme en haut du lit et les enfants restaient en dessous." Aujourd'hui, il a poussé les murs et construit deux chambres. "C'est une vraie maison, commente-t-il avec fierté. Tout a changé également pour la communauté. Par le biais du budget participatif, elle a obtenu la régularisation foncière de la vila, l'urbanisation du site et la construction de maisons pour le relogement de toutes les familles. Un local communautaire, une place, une aire sportive seront également aménagés. Enfin, un point de recyclage sera construit pour éviter le dépôt des ordures à l'entrée ou à l'intérieur des habitations. "Après le travail, on aura une petite maison toute propre, toute jolie, avec un café, sans la préoccupation de passer les verres sous l'eau avant de boire à cause des cafards. On pourra laisser la nourriture dans l'armoire et les rats ne viendront pas y toucher. Il n'y aura pas de rats. C'est de ça que tout le monde rêve", s'enthousiasme Antônio.


Sa lutte pour le budget participatif est sans doute ce qui est arrivé de mieux dans la "vila dos papeleiros". "Je ne pense pas qu'un homme politique, sans sentir une pression va faire quoi que ce soit pour le peuple. Alors on doit se mobiliser pour faire respecter nos droits. Si on savait tous les droits que l'on a, la vie serait bien meilleure." Avec le temps, Antônio a appris à voir le monde de façon différente. "J'ai appris que le peuple, quand il est uni, est fort. J'ai appris que je pouvais parler. La première fois que j'ai pris la parole dans une rénion du budget participatif, la première fois que je me suis trouvé en face du micro, j'ai eu l'impression d'être une petite fourmi au milieu d'une foule d'éléphants. Je me sentais tellement minuscule. Mais je connaissais les besoins de ma communauté alors j'ai laissé la timidité de côté et j'ai commencé à parler. J'ai parlé avec le cœur, de la vie ici, où même un chien ne voudrait pas vivre. Et ça a eu un tel impact …".


Au-delà des conquêtes matérielles, Antônio a modifié jusqu'à l'image même des papeleiros. "Plus nous ramassons d'ordures et de papiers, moins les rivières sont polluées, moins les arbres sont coupés", explique-t-il. "Nous sommes les petits qui travaillons pour la nature et elle nous remercie. Parfois il me semble que la pluie s'arrête au moment où je pars avec mon chariot. Maintenant, j'aime ce travail et, par le budget participatif, j'ai pu le valoriser, nous valoriser en tant que personnes, en tant que travailleurs."

En 2002, Antônio a été invité à se présenter à l'élection des conseillers populaires du budget participatif. Il n'a pas voulu. Manque de temps, manque de moyens financiers pour se consacrer à cette tâche. "Quand je vais dans des réunions, je ne peux pas travailler autant. Quelqu'un de la vila sort à ma place, pour me donner un cuop de main. Mais ce n'est jamais pareil." Pour autant, il ne quitte pas le processus. "Aujourd'hui, c'est pour les enfants que je me bats. Moi tout seul je n'ai besoin de rien, je peux dormir sous un pont, sous un viaduc. Mais les enfants ? C'est pour eux que je lutte, pour les petits qui sont le futur de ce monde, pour leur donner une culture, un avenir."

 

 

Ce témoignage a été honteusement pompé par un moine copiste d'un très beau livre paru aux éditions Syllepse. C'est l'ONG Solidariedade, qui regroupe des conseillers et des délégués du budget participatif, qui en est à l'origine. Les textes et les témoignages sont le fruit de débats collectifs et ont été mis en forme par la journaliste Estelle Granet qui a séjourné à Porto Alegre à l'invitation de Solidariedade (le texte reste simple, très clair pour expliquer les choses techniques, et est très touchant. C'est très bien écrit). Des photos de Jacques Winderberger donnent des visages aux paroles des acteurs de ce livre (on y côtoie Antônio !). Les deux photos ci-dessus ne font pas partie du livre.

Ce livre est un choc, mais ce livre est peu distribué. N'hésitez pas à le commander à votre libraire préféré !
http://ecx.images-amazon.com/images/I/516MGQZS30L._SL500_AA300_.jpg
Sinon, envie de voir des photos du centre-ville de Porto Alegre ?
A méditer :
" Une syllepse est une forme grammaticale qui privilégie les accords fondés sur le sens plutôt que sur la règle…"
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