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31 mai 2011 2 31 /05 /mai /2011 06:28

 

Indubitablement, une bonne connaissance de la culture brésilienne serait nécessaire pour comprendre la portée de tous les symboles et paraboles qui construisent le film. Cependant, tiré du classique publié en 1928 de Mário de Andrade (1893-1945), ce film est tellement bourré d'humour et d'un regard perçant, déformé et exagéré, qu'il est très étonnant et captivant du début à la fin.

 

Lors de la première scène, une mégère dégoûtante -jouée par un homme- défèque presque son nouveau-né -joué par un homme, excellent- qui pousse ses premiers cris. "Ouh qu'il est moche !" "Il s'appelera Macunaïma -les noms en "ma" portent malheur". Macunaïma, "héros sans caractère", est un petit monstre … il sait brâiller, est malin et très paresseux, fait pipi au hamac, donc sa mère qui dort en dessous se protège avec un parapluie, et est aussi précoce : sa belle sœur l'emmène dans la forêt et tire une cigarette de son vagin, il fume un coup et pouf se transforme en prince -blanc- le temps de quelques ébats … avec d'autres éléments très théâtre populaire qui me font bien marrer !

 

 


 

 


 

 

Mal aimé, il est souvent châtié par sa famille. Mais un beau jour, il passe sous une fontaine magique et pouf devient blanc. Son grand-frère, métis, n'aura pas eu cette chance… Commence alors pour ces derniers un voyage vers la capitale, où il va éprouver avec paresse et veulerie diverses facettes du Brésil moderne : ses racines indiennes et rurales, son fourmillement urbain, son racisme larvé …

 

Pour info ou pour rappel, le « Cinéma Novo » (cinema nôvo pour les puristes), né au début des années 60, n’est rien d’autre que l’équivalent brésilien de la Nouvelle vague. De même que cette dernière est née en réaction à la « Qualité Française » – ou que le néo-réalisme s’est opposé au « cinéma de téléphones blancs » mussolinien –, de même le Cinéma Novo s’est d’abord érigé sur les ruines d’un cinéma majoritaire et académique : la chanchada, comédie musicale carnavalesque mêlée d’aventures et de parodie, extrêmement populaire mais peu au fait des réalités historiques et sociales du pays, bien que très "brésilienne" d’esprit. Dans la lignée du mouvement tropicaliste, de jeunes cinéastes dotés d’une double connaissance de la haute culture et de la culture populaire (Nelson Pereira Dos Santos, Carlos Diegues, Ruy Guerra et le plus célèbre et turbulent d’entre eux, Glauber Rocha) entendent porter un regard sur un Brésil jamais filmé – celui des paysans et des bidonvilles – et proposer une esthétique neuve et contestataire, évidemment subversive dans un pays où sévit une dictature militaire (1964-1985).

 

En 1965, Andrade réalisait "Le Prêtre et la jeune femme", un film sec et intense, sourd et brûlant, sur un thème qui inspira plus d’un artiste : la relation trouble entre les personnages indiqués par le titre. En regard du mouvement dans lequel il s’inscrit et du long métrage de fiction auquel il succède dans la filmographie du cinéaste, c’est peu dire que Macunaïma détonne. Pensez donc : une comédie bouffonne émaillée de musique qui rencontrera un succès public – soit, à première vue, un retour au genre même que le Cinéma Novo avait souhaité balayer ! Le retour aux sources est en fait beaucoup plus profond : il s’agit d’un renouement avec ce qu’une certaine culture populaire brésilienne a toujours eu d’irrévérencieux et de moralement incorrect.

 

La cohérence esthétique et politique qui habite les formes diverses du Cinéma Novo – lequel a indubitablement donné naissance à une nouvelle cinématographie nationale – fait aussi la limite de sa réception hors des frontières du Brésil : une connaissance approfondie de la culture du pays semble parfois nécessaire si l’on veut en saisir tous les enjeux : comprendre, par exemple, l’importance fondamentale qu’y revêt la notion d’anthropophagie. Ce que le cinéma brésilien, après une période abyssale (la présidence Collor (1989-1992), où le désengagement de l’État en matière de culture en général et de cinéma en particulier a réussi à réduire à zéro le nombre de films tournés par an), a gagné en accessibilité, il l’a peut-être perdu en force : le renouveau actuel du cinéma brésilien, économiquement indéniable, ne peut faire l’objet d’un bilan esthétique qu’en demi-teinte. Nombreux, en effet, sont les films formatés et académiques, occasionnelles les bonnes surprises, rares les éclatantes réussites (le somptueux "À la gauche du père" de Luiz Fernando Carvalho, malheureusement passé inaperçu lors de sa sortie en France).

 

Macunaïma, c'est en somme l'individu brésilien et le Brésil multiethnique et multiculturel vu par Joaquim Pedro de Andrade et étalé dans toute sa complexité. Sans caractère, il les possède tous et vit en harmonie avec : blanc, noir ou métis, européen et américain riche ou pauvre et par-dessus tout amoureux de la vie. Mais c'est aussi une critique du Brésil contemporain : trop violent, trop inégalitaire, tournant au ridicule la société de consommation.


Télécharger Macunaïma : liens rapidshare (lisez les commentaires), lien torrent

 

Biblio :

Les films cités :

Notes sur le téléchargement : N'ayez pas peur de l'Hadopi :

Bons films !

[ciné] Macunaïma, Joaquim Pedro de Andrade (1969)
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commentaires

B
<br /> Il n'y a pas de quoi, c'est avec plaisir !<br /> <br /> <br /> Pour ce qui est des films du même genre, je n'ai malheureusement pas d'autres références. Mais si j'en croise quelque part , je n'hésiterai pas à vous le suggérer.<br /> <br /> <br /> bonne continuation !<br />
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B
<br /> Et bravo pour l'article !<br />
Répondre
B
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Vous pouvez visionner le film en entier et en version originale sous-titré en français à cette adresse :<br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=FNoga3IxPHs<br /> <br /> <br /> bon film !<br />
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V
<br /> <br /> Super,<br /> <br /> <br /> je remets juste le lien avec un vrai lien cliquable :  http://www.youtube.com/watch?v=FNoga3IxPHs<br /> <br /> <br /> Merci !<br /> <br /> <br /> ps : des idées de film du même genre ??<br /> <br /> <br /> <br />

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